lundi 13 février 2017

Wakhinane, un quartier de Dakar

Vue sur le quartier

 Plus connu sous le nom de « Soufou Pont » qui veut dire sous le pont, Wakhinane est situé à la descente du pont de Colobane. Considéré par beaucoup  comme un lieu de travail, des familles y vivent. Une visite dans ce quartier pourtant densément occupé  a permis d’en savoir un peu plus sur les conditions de vie.

        Des constructions en baraque à perte de vue, c’est ce qui attire en premier à Wakhinane. Difficile de croire qu’au milieu de ces carcasses de voiture entassées, de ces multiples ateliers de forge et de mécaniciens,  des familles entières y vivent.  A la descente du pont de Colobane, il faut traverser les rails puis un canal à ciel ouvert pour arriver dans le quartier. Ici des cars rapides, des taxis, des Mercedes, des camions sont entreposés dans les rues, signe de la présence de mécaniciens.  
                                   
Seulement ce décor pourrait bientôt disparaître. A la date du 28 Février 2017 tous devront quitter les lieux, le site étant un espace du domaine de l’Etat. Wakhinane, zone par laquelle va passer le Train Express Régional (TER) du Sénégal dont les travaux ont été lancés le 14 Décembre 2016. Dans un sondage fait par l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) en 2013, 69.045 personnes dont 12.614 ménages ont été recensées comme impactées par le projet dans la commune de Hann Bel Air. Quelque 677 places d’affaires (ateliers, cantines sur la voie publique, étal, kiosque) ont été décomptées à Wakhinane à la même période.

Une décision qui frustre les occupants de ce quartier dont le chef de quartier El hadj Issakha Diop. Depuis 1985, il est là avec sa famille et dit connaitre les moindres coins et recoins de la cité. Le drapeau du Sénégal flotte devant la porte d’entrée de la maison en baraque. Dans la cour règne une ambiance détendue, en cet après-midi de Lundi. Les membres de la famille Diop buvaient du thé en discutant de la Can et de la victoire du Cameroun sur l’Egypte.

M. Diop dirige ce quartier depuis une dizaine d’années. Agé de près de 80ans, le vieux a la barbe toute blanche et a perdu une partie de ses dents. Debout devant son enclos, donnant à manger à ses 5 moutons et à ses pigeons, cet ancien militaire qui s’exprime bien en Wolof et Français est un peu sourd. Selon lui, depuis sa création en 1978 tous les déguerpis de Dakar étaient recasés à Wakhinane. Le Gouverneur de Dakar Thierno Birahim Ndao avait adopté une telle politique.

Ici, plusieurs races  s’y retrouvent: Wolofs, Sérères, Diolas, Peulhs, et même des Guinéens et des Maliens y sont. Mais les problèmes ne manquent pas d’arriver comme entre ce Maure, vendeur de gargote, et son voisin Sérère qui lui doit de l’argent depuis 7 mois. Muni de sa plainte, il est venu remettre la convocation au chef de quartier qui lui a demandé 24h pour convoquer l’autre partie et régler l’affaire à l’amiable.  
Des infrastructures, il en manque dans ce quartier. Les populations pour avoir des papiers administratifs se rendent à la Mairie de Hann-Bel Air, commune à laquelle ils appartiennent. En l’absence de poste de police, un comité de veille a été mis en place pour assurer la sécurité. Un jeune du quartier, membre de ce comité, nos confie que ce sont eux-mêmes qui veillent sur la sécurité de leur zone. Les personnes malintentionnées, ils les chassent vite fait de leur quartier sans dire par quels moyens.

Dans les coins de rue, les enfants jouent en toute insouciance avec des pièces en métal ramassées dans les ateliers des ouvriers. Beaucoup sans chaussures courent sur la saleté pour jouer à cache-cache, ou au football. A 17h, heure de la descente les ouvriers qui sortent des usines d’à côté passent acheter de quoi grignoter. «  Comme la plupart rentre en banlieue, ils passent acheter de quoi manger. En attendant d’arriver à la maison et de bien manger son bol de riz ou dîner », nous explique cette vendeuse de beignets. Seulement le sifflement du petit train bleu annonçant son arrivée à la gare de Colobane fait courir des voyageurs en retard. Sur son passage, le train soulève la poussière ce qui irrite les narines. Une impression de tremblement vous traverse les jambes.

A Wakhinane, la case de santé ne fonctionne plus. Crée au début des années 2000 avec le financement de l’ONG ENDA Tiers Monde, elle est fermée les populations  obligées d’aller vers les centres de santé de Colobane, Yarakh ou des Hlm. Ndéye Gueye vit ici depuis dix (10) ans et gère le robinet public, travail qu’elle allie avec celui de lavandière.  Le teint noir, des rides sur le visage, les lèvres  craquelées, la peau sèche, elle paraît peu se préoccuper des soins de beauté. En pagne et tee-shirt à l’effigie d’un lutteur du Baol, le foulard mal noué sur la tête, elle tient son bébé d’environ 6 mois sur les bras.  Selon elle, à chaque fois qu’ils ont des soucis de santé, ils vont soit dans un poste de santé de Colobane, des Hlm ou à Yarakh. Comme lors de sa dernière grossesse, elle faisait ses visites prénatales au centre de santé de Colobane.

L’absence d’infrastructures cause de nombreux problèmes aux habitants obligés de faire avec les moyens du bord en cas de besoin. Mère Fatou Diouf en a vécu l’expérience. Sa maison a pris feu il y a quelques semaines. La petite porte en zinc, qui tient à peine, donne sur une cour étroite. Des bruits de marteau témoignant des travaux qui sont en cours, vous accueillent dès votre arrivée. Un menuisier construit une chambre en bois.  Un enfant de 3ans en jean et pull longue manche, pieds nus nous accompagne à l’intérieur. Mme Diouf est trouvée entrain de laver des bouteilles d’huile vides de 20 litres, qui revendues vont servir de réserves d’eau dans les restaurants et ateliers. Des restes de bois consumés, des habits brûlés, des  baraques détruites, sont en entassés dans un coin.

  Elle narre les faits : « Il y a quelques jours, un incendie s’est déclaré dans ma maison  vers 21h. Avec le vent, les flammes se sont très vite répandues détruisant  3 chambres. Toutes nos affaires sont parties en fumée. Les matelas, mon armoire et tout ce qu’il y avait à l’intérieur réduits en cendre. Je remercie mes voisins sans qui ça aurait été pire, ce sont eux même qui ont fini par éteindre le feu avec des seaux d’eau qu’ils se passaient d’une maison à une autre. »  La seule chambre épargnée par les flammes sert désormais de dortoir pour la mère de famille, ses 2 filles et ses petits- enfants. Les garçons sont hébergés par leurs voisins.

Wakhinane dispose de 2 écoles communautaires construites par les populations. L’une d’elle se trouve en face du pont de Colobane, elle n’a qu’une seule classe. Sur la façade, du mur, peinte en couleur blanche est écrit :Ecole Communautaire Wakhinane. De l’intérieur, on voit et on entend tout ce qui se passe au dehors tels les cris des enfants qui jouent dans la rue. Seuls  9 tables-bancs plus une armoire en fer forment le décor dans la classe. La porte et la fenêtre  ouvertes permettent d’éclairer la salle un peu obscure. Sur le toit en bois et zinc est suspendue une lampe ampoule.  Les cours de Français sont donnés de 8h à 13h et de 15h à 17 du Lundi au Samedi. Le groupe du soir fait Arabe de 13h à 17h. Les mensualités sont de 1500Fcfa de la C1 à la CE2 et les élèves de CM1 et CM2 paient 2000Fcfa. Dans la classe, il y a 2 rangées de tables-bancs. La 1ère est occupée par les aînés qui font la CM1 et la CM2 et la 2e  les enfants qui sont de la CI à la CE2. L’instituteur divise le tableau en 2 parties égales. 


A 18h, la salle est très animée avec des vas et viens des élèves jusqu’à ce que Oustaz sonne la fin de la récréation à 18h30 marquant le début des cours. 40 élèves sont présents dans la classe et s’assoient à 4 ou 5 par table. Les élèves  de la CI à la CE2 âgés entre 5 et 15ans sont les plus nombreux.  Après les  salutations en arabe, Oustaz fait un rappel sur le cours passé puis commence une nouvelle leçon, le tout en Wolof. Les élèves habitent tous le quartier. Beaucoup travaillent comme fille de ménage dans les quartiers environnants, c’est à la descente du travail qu’elles viennent à l’école pour étudier. Une d’elles Soda Gningue a 20ans et habite avec sa sœur et ses cinq (5) amies dans une chambre louée 15.000Fcfa. L’originaire de Bambey qui travaille aux Hlm 5, dit parvenir à lire en arabe et à bien pratiquer sa religion.


Wakhinane c’est un site d’habitation mais aussi un lieu de travail pour des centaines de personnes. Ici les maisons construites en toute anarchie côtoient les ateliers. Mais la question de leur prochain déguerpissement les rend furieux, et réveille leur colère. Tous sont conscients  qu’ils doivent partir mais ne savent pas où aller et fustigent les 800.000Fcfa proposés comme indemnité par propriété. Ceux qui ont déjà signé vont percevoir leur argent, quand à Pa Diop il a rendez-vous la semaine prochaine à l’APIX pour signer et se résigner à partir ailleurs avec ses amis.

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